Cet article a été publié la première fois dans le numéro 20 de l’hiver 2024 du Couvert boréal. Nous le publions ici avec l’aimable autorisation de l’Association forestière de l’Abitibi-Témiscamingue.
Par Jean-Lou David
Si l’histoire des villes se déclinait à la façon des récits, le lac Osisko figurerait assurément aux nombres des personnages principaux dans la vie de Rouyn-Noranda. Localisé en plein cœur du tissu urbain qui départage les anciennes villes de Noranda et Rouyn, le lac en marque à la fois la frontière et le trait d’union. Abondamment circulé depuis les origines de la ville – et même bien avant sa colonisation par les eurocanadiens – le lac Osisko est un carrefour où s’entrecroise une population multiethnique foisonnante qui y débarque en avion, en canot ou en raquettes et qui s’y élance, pour son plaisir et suivant les saisons, en traîneau à chien, en bateau à voile, en costume de bain ou en patin!
Conia Asini : au pays de la roche brillante
Malgré qu’il soit d’usage de répéter que la zone urbaine de Rouyn-Noranda se trouverait dans une sorte de cul-de-sac de navigation, en marge des grands axes de circulation du territoire, plusieurs preuves historiques tendent à montrer que le lac Osisko et ses abords immédiats (Lac Rouyn, Ruisseau Dallaire, lac Édouard) sont fréquentés régulièrement avant le boom minier de la décennie de 1920.
On sait d’abord, par une carte réalisée en 1897, qu’un groupe autochtone probablement affilié à la bande de Winneway avait un camp d’été sur une pointe du lac Dufresnoy (ou Kajakanikamak) et qu’il pouvait y accéder en passant par le lac Osisko. Leur présence est d’ailleurs attestée plusieurs décennies plus tard par le pionnier de Rouyn, Léon Dumulon, qui évoque leur passage à proximité du lac Rouyn au printemps 1923. On relève également, toujours par le biais d’entretiens réalisés auprès de pionniers de la région de Rouyn, qu’un abondant réseau de portages reliait le lac Osisko aux lac Pelletier, Dufault et Rouyn et que ces chemins étaient encore fort bien entretenus au moment où les premières compagnies de bois viennent couper dans les environs, quelques années avant la ruée minières.
La tradition autochtone garde d’ailleurs la mémoire d’évènements survenus dans les environs au tournant du 20e siècle, notamment la disparition de l’arrière-grand-père de Jimmy Hunter, ex-grand chef du conseil intertribal de la Nation Anicinabek, ainsi que la découverte de roches minéralisées dans la région immédiate du lac Osisko, appelée apparemment Conia Asini, par les frères Makimoot de Winneway, quelques années seulement avant que le prospecteur Edmund Horne ne s’y rende aussi.
Enfin, des fouilles archéologiques réalisées sur la pointe Dumulon en 1978 permirent d’exhumer certains fragments d’outils, attestant d’une présence beaucoup plus ancienne sur le site.
Ruée humaine
En 1923, l’annonce de l’ouverture prochaine d’une mine dans la région du lac Osisko entraîne un déferlement spontané de population qui s’installe initialement au hasard des espaces vacants et sans services publics. À partir de ce moment, le peuplement autour du lac ne cessera de s’intensifier, si bien qu’en 1924, le village de Rouyn compterait déjà 500 habitants et qu’en mars 1925, ce serait plus de deux mille campeurs ou prospecteurs qui passeraient l’été à Rouynville, à quelques mètres des berges.
Piste d’atterrissage pour les avions de brousses, le lac Osisko devient rapidement le siège d’une intense activité aéronautique. Afin de faciliter les déplacements de toute une faune colorée de prospecteurs et d’aventuriers attirés par la rumeur de l’or, un service aérien régulier se met en place entre le lac Osisko et Haileybury. Il s’agirait d’ailleurs du premier service aérien régulier au Canada, et bientôt, ce seront jusqu’à quatre compagnies d’aviation qui opéreront à partir du lac.
À cette époque, les camps miniers vivent dans la crainte constante des feux de forêts, appelées alors conflagrations, et la population du Rouyn ancien n’y fait pas exception. Des canots chargés de provisions sont tenus à proximité du lac afin de s’y réfugier en cas de feu et la plupart des habitants y puisent directement leur eau potable… mais y déversent également leurs eaux usées. On ignore la date exacte à laquelle l’eau du lac Osisko fut déclarée impropre à la consommation humaine, mais l’on sait que l’entreprise Pélissier & Frères y préleva des blocs de glace (pour les glacières à l’ancienne) au moins jusqu’en 1933.
Central à tous les points de vue dans la vie des pionniers, le lac Osisko inspirera au truculent curé Pelletier la réflexion suivante :
On y arrivait, on en repartait, on s’y approvisionnait d’eau et… les latrines s’y déversaient; c’était le mouvement perpétuel quoi!
Le curé Pelletier au sujet du lac Osisko
Le cœur palpitant de la ville
La baignade dans le lac Osisko, autrefois bien populaire, apparaît aujourd’hui comme l’un des éléments les plus frappants de la cohabitation jadis très étroite entre les habitants de Rouyn-Noranda et leur lac. Une petite plage, aménagée au pied de la 8e rue du côté de Noranda, recevait les baigneurs en nombre considérable sitôt les beaux jours revenus.
En hiver, le lac gelé devenait l’hôte de toutes sortes de festivités à commencer par les rendez-vous de patinage, sportifs ou galants, où les jeunes se rendaient nombreux, non loin de la pointe Dumulon. Le célèbre Carnaval du Nord-Ouest, l’un des plus importants carnavals d’hiver de la Province, y animait également une panoplie de divertissements sportifs et culturels ; joutes de hockey, compétitions de souque à la corde, glissade géante, élection d’une reine du carnaval… ainsi que des courses d’hommes gras!
Une mémoire à repêcher
Il y a longtemps que le lac Osisko est le cœur palpitant de la ville. Lieu de rencontre, de festivité, de commémoration de l’histoire également, il est le témoin privilégié des transformations de notre ville et du temps qui passe.
Longtemps aussi que les habitants de la ville admirent sa beauté et déplorent le triste sort auquel nous l’avons bien souvent relégué. À ce titre, il est émouvant d’entendre les anciens de la ville, dans des entretiens d’histoire orale réalisée il y a près de 50 ans, parler du lac Osisko spontanément lorsqu’on leur demandait ce qui leur était cher à Rouyn-Noranda, et déclarer qu’il fallait à tout prix sauver ce joyau qui nous a vu naître.
Photo de couverture :
Des enfants en chaloupe sur le lac Osisko, en 1952. Fonds Joseph Hermann Bolduc, BAnQ de Rouyn-Noranda, 08Y, P124, S14, 425