Histoire toponymique du lac Osisko

Par Jean-Lou David
Écrit à partir d’une recherche de Guillaume Marcotte, M.A. 

Détail de la toute première carte montrant le lac Osisko à Rouyn-Noranda, par John Bignell en 1895.
Détail de la toute première carte montrant le lac Osisko à Rouyn-Noranda, par John Bignell en 1895. Plan of a portion of the North West section of the Upper Ottawa river. Section 5. BAnQ à Québec, E2, S555, SS1, SSS18, P127/5.

La toponymie du lac Osisko, à l’instar de bien des mots autochtones qui émaillent les cartes de l’Abitibi-Témiscamingue, présente plus d’un problème. En ce domaine, les certitudes sont rares et la circonspection est de mise.

Pour s’en tenir aux exemples bien connus, Abitibi a longtemps signifié, du moins pour les allochtones, « là où les eaux se séparent » ou encore « le lac à la coloration foncé ». Aujourd’hui, la théorie la plus communément admise incline pourtant vers Aabita, signifiant « milieu » ou « moitié » ainsi que Nibi, signifiant « eau », ce qui donnerait environ « eau du milieu » ou « l’eau à la mi-distance ». Semblablement, l’Harricana ou Nanikana, a longtemps passé pour « la rivière aux biscuits » sans que l’on sache trop pourquoi. S’agissait-il de la forme ronde des galets qui jonchent son lit ou encore de la présence ancienne, plus que contestable, d’une usine de biscuits sur ses rives ? Aussi bien dire qu’en l’absence d’une confirmation claire, venant d’un locuteur autochtone, la plupart des explications toponymiques tiennent de l’hypothèse plus que de la certitude.

Même les significations considérées les plus certaines sont parfois difficiles à prouver. C’est que la Commission de toponymie du Québec elle-même a quelquefois de la difficulté à se défaire de ses mauvais plis. Sur la base d’une notation ancienne, consignée il y a plus de 100 ans, il arrive que l’on affirme encore connaitre l’origine anicinabek de tel ou tel nom[1]

Toujours est-il qu’afin d’espérer remonter la piste du toponyme Osisko, ou O-sik-sko, il nous faudra d’abord plonger brièvement dans l’histoire méconnue d’une équipée de canoteurs, lancée en pleine forêt boréale à la fin du 19e siècle.

Portrait de l'arpenteur-géomètre John Bignell, année inconnue.
Portrait de John Bignell, année inconnue. BAnQ à Québec, Fonds de la Société d’histoire du Saguenay, carton 9758.

En 1894, au moment où John Bignell père, arpenteur-géomètre chevronné et proche collaborateur du Département des Terres de la Couronne, reçoit l’instruction de se rendre au nord du Témiscamingue afin d’explorer le « bassin supérieur de la rivière des Outaouais », la région se présente encore drapée d’un voile de mystère dans la cartographie officielle. Confié à ce vétéran du service public, le moins qu’on puisse dire de Bignell c’est qu’il est un homme expérimenté. Âgé de 77 ans, on s’étonne que sa forme physique lui laisse encore le loisir de mener de si longs et périlleux voyages cartographiques. Auréolé d’une excellente renommée d’homme de science, il est aussi réputé pour sa « force herculéenne ». On dit qu’il fut longtemps champion de tir au poignet en la ville de Québec. Familier des rivières et des voyages aux longs courts, il est parfaitement adapté à l’exploration des territoires reculés, connaissant plusieurs langues autochtones et sachant s’entourer, surtout, de guides capables de le mener sain et sauf à peu près n’importe où.[2]

Pour rappel, à cette époque, très peu d’eurocanadiens connaissent les étendues sauvages situées au nord du Témiscamingue. Tout au plus certains religieux, en route pour leurs missions itinérantes de la baie James, du lac Abitibi ou du Grand lac Victoria, ou encore d’éventuels traiteurs de fourrures en dérouine, allant au-devant des autochtones pour commercer. Dans le cadre de cette expédition d’arpentage, on ignore d’ailleurs qui accompagnait Bignell. Peut-être son fils aîné, lui aussi arpenteur et lui aussi appelé John Bignell? Néanmoins, la présence de guides autochtones connaissant le territoire et les différents portages semble assez certaine. 

Rassemblée vers la fin de l’automne, l’équipée quitte le Témiscamingue par la Rivière-des-Quinze où Bignell commence à relever méthodiquement la forme des rives et ce qu’il y aperçoit, afin d’en dresser des cartes à son retour dans la capitale. Passé le Rapide de l’Esturgeon et la fourche de l’Outaouais vers l’est, les canots s’enfoncent en territoire méconnu sur la Kinojeviskaskatik. Bientôt arrivé à hauteur du lac Routhier, dans ce qui deviendra le canton Rouyn, le groupe bifurque franc ouest, quitte la Kinojévis et pénètre dans l’étroit et sinueux exutoire du lac Rouyn, appelé ruisseau Dallaire.

Groupe d’hommes transportant des marchandises sur le Ruisseau Dallaire jusqu’au débarcadère du lac Rouyn, au début de la ville de Rouyn. Vers 1920.
Groupe d’hommes transportant des marchandises sur le Ruisseau Dallaire jusqu’au débarcadère du lac Rouyn, au début de la ville de Rouyn. Vers 1920. BAnQ de Rouyn-Noranda, Fonds Comité du 50e anniversaire, 08Y, P34, S3, P1159.

À ce stade, cette seule décision suffirait à prouver que Bignell était accompagné d’autochtones, car seuls des navigateurs familiers avec le tracé de navigation local prendraient ce chemin, sachant que de courts portages pourront les amener à un plan d’eau majeur en amont, soit le lac Natapijigue ou des îles, aujourd’hui connu sous le nom de lac Dufault. 

Parvenu au lac Rouyn, Bignell emprunte un portage qui longe plus ou moins le ruisseau, dans les actuels sentiers de randonnée du lac Rouyn, et arrive bientôt sur les berges d’un petit lac à la forme arquée dont il entreprend de faire le tour. Il y reconnaît quelques îles et relève sur son pourtour des peuplements de bouleaux, de trembles, de mélèzes, ainsi qu’un peu de cèdres et beaucoup d’épinettes. Observant sommairement la qualité des sols, il note, à proximité de l’actuel centre-ville de Rouyn et du Vieux-Noranda : « good land ». 

Enfin, sans doute sous la dictée de l’un de ses guides, il accomplit le geste millénaire de l’explorateur. Il nomme l’endroit O-sik-sko ou Lake Musk Rat.

Détail du carnet d’arpenteur de John Bignell avec les différents points géomatiques relevés sur le lac Osisko.
Détail du carnet d’arpenteur de John Bignell avec les différents points géomatiques relevés sur le lac Osisko. BAnQ à Québec, Fonds ministère des Terres et Forêts, E21, S60, SS2, P273.5.

Bien qu’il ait souvent été dit que cette appellation traditionnelle proviendrait d’un mot algonquin[3], la chose ne semble pas résister à l’analyse puisque les locuteurs de l’anicinapemowin désignent cette bête du nom de wadjack[4]. C’est plutôt du côté de la langue crie que l’on retrouve une semblable équivalence. Dans le Dictionnaire français-cri de l’oblat Louis-Philippe Vaillancourt, on voit Ochisko, signifiant rat musqué. Dans les graphies plus modernes, et plus respectueuses de la prononciation actuelle des Cris de l’est, le dictionnaire donne wachishkw[5].

C’est donc d’une appellation crie dont provient vraisemblablement le nom Osisko, simplifié et prononcé à l’anglaise. On doit donc présumer que John Bignell était accompagné de locuteur de cette langue lors de son voyage et que ceux-ci lui ont probablement dit le nom de ce lac dans leur propre idiome. Bien que la chose puisse sembler étonnante aujourd’hui, il n’est pas invraisemblable que des cris aient voyagés sur les cours d’eau régionaux vers la fin du 19e siècle, lorsqu’on sait, par exemple, que la compagnie de fourrures françaises Revillon frères avaient recours à des métis cris à son poste du lac Opasatica vers 1906, à peine 10 ans après le passage de Bignell dans la région[6]. C’est sans compter que ce peuple, réputé très grand voyageur, occupait le territoire du vaste bassin versant situé immédiatement au nord de la région de Rouyn.

Faut-il en conclure que ce lac s’appelait également le lac du rat musqué pour les populations autochtones anicinabek ? Il est impossible de l’affirmer, mais la chose semble assez probable. 

Détail d’une carte de Jules-Paul Castonguay où l’on peut lire Lac Trémoy, 7 mai 1923.
Détail d’une carte de Jules-Paul Castonguay où l’on peut lire Lac Trémoy, 7 mai 1923. BAnQ à Québec, Fonds ministère des Terres et Forêts, E21,S555,SS1,SSS1,PR.37.

Au fil du temps, le nom du lac viendra encore à changer avant de regagner l’appellation donnée par Bignell. 

Suivant une mode qui conduisait à abandonner les toponymes à consonance autochtone, sous l’impulsion notamment de personnalité comme Eugène Rouillard, père de la toponymie au Québec et défenseur quelque peu paranoïaque du français[7], le lac devint connu sous l’appellation de Trémoy[8], du nom du syndicat minier qui avait financé les voyages d’Edmund Horne. 

Malgré cette volonté de francisation, le beau nom d’Osisko devait demeurer et celui de Trémoy, lentement tomber en désuétude. Adopté depuis dans différents contextes, Osisko connaîtra une certaine postérité, devenant le nom d’un club de voile, d’une minière ou d’une division scoute. 

Rassemblement du club scout 1st Osisko à proximité du lac du même nom, vers 1940.
Rassemblement du club scout 1st Osisko à proximité du lac du même nom, vers 1940. BAnQ à Rouyn-Noranda, Fonds Canadien National, 08Y, P166, S3, P2440.

À la différence de la toponymie de tradition européenne, qui vise souvent à commémorer la mémoire d’une personnalité, les noms de lieux autochtones, eux, encapsulent des récits, des savoirs écologiques et des relations profondes avec la terre. Souvent descriptifs, les toponymes autochtones reflètent les caractéristiques géographiques, naturelles ou fauniques d’un lieu donné. Leur survie témoigne non seulement de la richesse du patrimoine culturel autochtone, mais sert aussi à commémorer un rapport particulier au territoire, issu d’un sens aigu de l’observation et empreint d’un respect pour la nature et tout ce qui la peuple.

Cliquer pour voir les références

[1] Un rapport de la Commission de toponymie du Québec datant de 1999 s’intéresse précisément à la question de La toponymie des Algonquins.  https://numerique.banq.qc.ca/patrimoine/details/52327/57049

[2] Connu surtout pour son exploration du lac Mistassini, https://shistoriquesaguenay.com/wpcontent/uploads/2023/03/Saguenayensia_vol_39_no_03_1997_complet.pdf

[3] On retrouve toujours cette affirmation sur le site officiel de la Commission de toponymie du Québec

[4] Un dictionnaire Ojibwe, une langue autochtone très proche de celle parlée par les Premiers peuples de l’Abitibi, donne par exemple Wazhashk pour muskrat

[5] https://dictionary.eastcree.org/Glosses/View/5a5c6c8d-acff-11e1-a089-60d819aca6eb/muskrat

[6] https://maison-dumulon.ca/lenigme-du-poste-de-traite-de-revillon-freres-au-lac-opasatica/#:~:text=L%27une%20des%20entreprises%20faisant,fond%C3%A9e%20%C3%A0%20Paris%20en%201839.

[7] Proche collaborateur des campagnes de Bon parler français, Rouillard met son auditoire en garde contre « l’invasion des toponymes barbares ». 

[8] Ce nom, comme la plupart des noms de canton en Abitibi (y compris celui de Rouyn), proviendrait d’un officier du régiment de Royal-Roussillon, ayant combattu à la bataille de Sainte-Foy en 1760.